Nuit et brouillard pour Eugénie Bazire par Nelly Duval

Eugénie Bouley était née à Saint-Denis-le-Vêtu, au village de la Paumerie (anciennement les Paumeries), le 7 novembre 1884. La quatrième des cinq enfants de Léon Bouley, 45 ans, cultivateur à Saint-Denis-le-Vêtu, né à Ouville et d’Henriette Hennequin, 38 ans, cultivatrice, née à Ouville.

Elle avait épousé Emile Bazire le 23 novembre 1919 à Saint-Denis-le-Vêtu. Ils avaient choisi pour témoins les frères Eugène et Henri Pépin, du village voisin du Haut-Bessin, ce dernier ayant épousé Marie, la jeune sœur d’Eugénie.

Emile, son mari, né à Roncey en 1881, est décédé le 17 juin 1941, à 7h30 du matin, en leur domicile, à l’âge de 60 ans. Fils d’Aimable Bazire et de Marie Ménard.

Aucune photo d’elle ou du couple n’a été retrouvée.

 

Seule une pièce-médaille m’a été confiée par Joëlle, sa petite nièce. Médaille de leur mariage le 23 novembre 1919. La date y est inscrite ainsi que deux B enlacés (Bouley - Bazire)

« NN » Que se cache-t-il donc sous ces deux initiales ?

« NN »,   initiales de « Nacht und Nebel », en français « Nuit et   Brouillard », nom de code des  directives sur la poursuite  pour infractions contre le Reich, application d’un décret du 7 décembre 1941  signé par le maréchal Keitel et ordonnant la déportation de tous les ennemis  ou opposants du Troisième Reich. En application de ce décret, toutes les   personnes représentant « un danger pour la sécurité de l’armée  allemande » (saboteurs, résistants, opposants ou non adhérents à la   politique ou aux méthodes du Troisième Reich) seraient transférées en Allemagne et disparaîtraient à terme dans le secret absolu.

Nacht und Nebel! C'est là l'interprétation du signe N.N. accolé par l'administration SS à tout détenu désigné dès sa déportation à la disparition.

 

« Nacht, "nuit", disaient-ils, c'est l'oubli. Nebel, "brouillard", c'est la fumée dans laquelle vous vous volatiliserez tous. » 

Disparaître sans laisser de traces

 

Voici le sort réservé à Eugénie. Ce sont les soldats de la Wehrmacht (ou de la Gestapo) qui, de nuit, l’ont enlevée  chez elle, à la Paumerie, pour la conduire vers la prison de Saint-Lô. Sur dénonciation de son ouvrier agricole et du père de celui-ci. Une sombre histoire pour détention illégale d’arme à feu. A quelle date la dénonciation ? Ceci reste un mystère. 

Sa maison à la Paumerie en 2015-Eugénie y habitait en 1940

La première visite des Allemands, qui ne s’est pas fait attendre, a été courtoise. « Ne vous tracassez pas. Nous effectuons juste une visite de contrôle. Il n’y aura pas de suite. » Eugénie n’a pas cru à cette fausse courtoisie. Evoquant cette visite à Gustave  Droumaguet, le mari de Maria Bazire, l’une des sœurs d’Emile, né dans la commune bretonne de Mantallot, (prix d’excellence de la faculté de Chimie, filleul de l’écrivain Ernest Renan), elle a reçu le conseil de s’enfuir. Pourquoi ne pas accepter l’hospitalité momentanée dans un couvent d’Avranches ?  « Non », a-t-elle répondu. « Advienne que pourra. Je ne voudrais pas, en me cachant, que ma famille subisse des représailles », a tranché Eugénie. 

 

Plus de 2000 kms, de camp en camp

Rapidement ils sont revenus. Avec une simple valise remplie d’effets personnels, Eugénie les a suivis. Quittant sa maison et Follette, sa petite chienne beige et marron à poils rudes dont la famille Droumaguet prendrait soin, d’abord sur place en venant la nourrir chaque jour. Car si Eugénie rentrait bientôt….

 

 

Entrée de la prison de Saint Lô en 1940

A Saint-Lô d’abord, prison dans laquelle elle était encore libre de ses mouvements, son beau-frère Gustave lui a rendu une première visite. A la deuxième, il était accompagné de Joëlle, sa petite-fille qui évoque le dernier baiser donné à sa tante Ninie aux joues rebondies, après que son grand-père en ait demandé la permission au gardien. Puis transférée à Fresnes où Gustave, en lui rendant visite, l’a trouvée emmenottée. Plusieurs notables roncyais ont soutenu et aidé Gustave dans ses démarches près des autorités pour libérer Eugénie. Sans succès. Elle a ensuite été dirigée vers Aachen (Aix-la-Chapelle), à la frontière germano-belge, en train, à 700 kms de sa commune natale. C’était alors le premier lieu de  déportation, la  prison pour femmes « NN », en attente du jugement à Cologne. Là encore, Gustave, une dernière fois, est allé la voir, essayant de plaider sa cause et de la sauver. En vain. On l’a conduite vers une quatrième destination, Breslau, aujourd’hui Wrocław, en Pologne, capitale de la Silésie, à près de 1000 kms d’Aix-la-Chapelle, siège du tribunal des affaires « NN » de France. Jugée et condamnée, envoyée, pour son dernier voyage, à Ravensbrück, à 450 kms de Breslau et 80 kms au nord de Berlin.

 

 

                     Matricule KL 78-186

 

 

Arrivée au camp de Ravensbrück, elle doit subir, comme les autres détenues, la tonte rase des cheveux puis la séance de tatouage aux aiguilles faite par une autre détenue désignée, sur l’avant-bras gauche et ne devient plus que le matricule KL 78-186. La voilà prisonnière, avec presque rien à manger, juste un morceau de pain et une infâme soupe, à dormir sur une paillasse de bois crasseuse, dans un des 35 blocks du stalag derrière les hauts murs surmontés de barbelés électrifiés, à la merci des terribles surveillantes du camp.

Prisonnières à Ravensbruck

                        Ravensbrück, le point de non-retour

                                      Photo 5  barbelés

   Dachau, Auschwitz, Birkenau, Ravensbrück, quelques-uns des 42.500 sites fonctionnant de 1933 à 1945, de tailles différentes, dans lesquels ont péri ou ont été emprisonnées 15 à 20 millions de personnes. Parmi les victimes, près de 6 millions de juifs mais aussi des prisonniers politiques, des   tziganes, des Polonais et des Russes ainsi que d’autres groupes ethniques, des homosexuels, des handicapés et notre pauvre Eugénie qui ne répondait à  aucun de ces critères.  Ces  jours, ces heures, ces minutes à ressasser l’injustice de la barbarie que peuvent faire subir des êtres déchaînés en temps de guerre !            

 

 Femmes anonymes ou célèbres à la même enseigne

A-t-elle dû travailler dans les mines de sel proches ou les industries d’armement basées sur le site ? A-t-elle rencontré les nombreuses polonaises enfermées là-bas elles aussi ? Comment a-t-elle survécu aux hivers si rudes que la région était appelée « la petite Sibérie mecklembourgeoise » ?

 Ou bien a-t-elle côtoyé les résistantes françaises incarcérées à Ravensbrück ? Catherine Dior (1917-1944-1945-2008),  la sœur du couturier, la miss au célèbre parfum créé par son frère, qui prendra le dernier train pour Ravensbrück et aura la chance d’en sortir vivante? Ou encore la baronne Elizabeth de Rothschild (1902-1944-1945), décédée là-bas, Beatrix de Toulouse-Lautrec (1924-1944-1945-X), qui publiera « J’ai eu vingt ans à Ravensbrück ». Simone Veil et aussi la mère et la sœur de Juliette Gréco et tant d’autres. Joëlle, la petite nièce d’Eugénie, cite le nom de Geneviève De Gaulle Anthonioz (1920-1944-1945-2002) la nièce du général, que sa tante a côtoyée dans le camp. « Nous évoquions parfois le souvenir de ma tante aux repas de famille. Elle était de taille moyenne, un peu rondouillette, avait un fort caractère et, pieuse, allait chaque dimanche à la messe, aimant chanter des cantiques. Après la guerre, ma famille est entrée en contact avec Germaine Tillion (1907-2008), ethnologue, écrivain, elle aussi déportée NN à Ravensbrück. Elle se souvenait qu’Eugénie, dans le camp, remontait le moral aux jeunes et leur donnait sa part de pain. A cause du manque de nourriture et de l’épidémie qui sévissait dans ce camp comme dans tous les autres, Eugénie s’est affaiblie et est morte de dysenterie», se souvient avoir entendu dire Joëlle à propos de sa tante Ninie (diminutif affectueux pour Eugénie).

Morte le 24 décembre 1944, la veille de Noël, quatre mois avant la fin de la guerre. 

                                                     

Les plaies, la tuberculose, la diphtérie, la dysenterie ou le thyphus,                             

la chambre à gaz ou l’assassinat, voilà ce qui attendait la plupart des détenus des camps de concentration. « L’eau était polluée. Il n’y avait qu’un seul robinet pour 10 000 femmes. Pour avoir de l’eau, il fallait aller faire la queue dans la neige ou dans les flaques d’eau», souligne Madeleine Chavassine, rescapée d’un camp de femmes.

                                                  

                              

                       La libération sans Eugénie

Quand l’Armée Rouge arrive le 30 avril 1945, Eugénie est décédée depuis quatre mois. Il ne reste que 3 500 femmes non évacuées à Ravensbrück. Les SS ont entraîné les détenues capables de marcher, environ 20 000, dans une marche forcée vers le nord du Mecklembourg après en avoir confié 7 000 à des délégués de la Croix-Rouge suédoise et danoise. Ils sont interceptés après quelques heures par une unité d’éclaireurs russes. Au total 123 000 à 132 000 femmes et enfants ont été déportés à Ravensbrück, dont 90 à 92 000 exterminés ou morts de maladie, parmi lesquels Eugénie Bazire, agricultrice au village de la Paumerie à Saint-Denis-le-Vêtu.                                              

 

Il reste d’elle un nom sur le monument aux morts de la commune.

Le nom et le prénom de son mari simplement précédés de Vve. Son prénom et son nom de naissance semblent avoir été oubliés.

Les assassins punis

 Certains voisins se souviennent encore avoir vu les autorités françaises ou américaines venir se saisir, manu militari, des deux dénonciateurs à leur domicile et les emmener menottes aux poignets. Emprisonnés, ils ont été tous deux jugés par la Cour de Justice de Cherbourg le 28 décembre 1944, quatre jours après la mort d’Eugénie, et condamnés pour dénonciation aux Allemands.

Le père a été condamné, le 7 juin 1945, après un premier jugement en décembre 1944,  aux travaux forcés à perpétuité, avec confiscation de tous les biens. Il est décédé dans l’Orne en 1968.

Quant à son fils, il a été condamné à 5 ans de prison et 10 ans d’interdiction de séjour. Il est allé refaire sa vie, lui aussi dans l’Orne.

Près de leurs deux noms sont inscrites deux initiales « DN », une autre punition à vie, celle-là, signifiant « Dégradation Nationale ».

A savoir aussi que les condamnés aux travaux forcés à perpétuité ont rapidement vu leur peine commuée en 20 ans de réclusion puis 10 ans. Dans beaucoup de cas, ils ont été libérés assez rapidement.

 

Des cas non isolés puisque dans le Calvados voisin, selon l’étude de Julie Chassin (Université de Caen), « sur les 1302 individus dénombrés en tant que délateurs, près de 60% des actes de dénonciation sont présentés par le suspect comme résultat de rancœurs personnelles. C’est du simple voisinage de la victime que proviennent 40% des délateurs. Le premier prétexte invoqué étant la détention d’armes à feu. »

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